KI
- MATENCE Olivier
- 5 déc. 2019
- 3 min de lecture

Ki en japonais, qi (prononcer t’chi) en chinois ― ce concept est né en Chine ― sont les lectures locales du même idéogramme. Dans les langues occidentales, il n’existe pas de correspondance exacte au mot ki. Les traductions les plus fréquentes en français, mais on en rencontre bien d’autres, sont « fluide », « influx », « énergie », « souffle ». Aucune n’est totalement satisfaisante. D’ailleurs, en Chine comme au Japon où ce concept est une composante essentielle de la culture, si vous demandez la signification de ce mot à mille personnes vous obtiendrez mille explications différentes. La tradition suggère d’harmoniser le ki individuel et le ki universel ; comment comprendre ce message ? Faut-il le situer dans la sphère théologique, sociale, psychologique, médicale ? Très souvent, les « connaissances » ésotériques sont présentées dans un langage abscons. Cela évite de comprendre, ce qui serait fâcheux quand tout repose sur des idées contestables. Cependant, le ki ne se classe pas si facilement dans cette catégorie puisque ce concept, qui correspond à des données observables, a généré de multiples applications pratiques telles : • L’acupuncture, qui a acquis son droit de cité en Occident ; • Le qi gong (prononcer t’chi kong), gymnastique énergétique interdite en Chine depuis 1999 ― c’est l’école Falun gong, dont la composante religieuse et philosophique inquiète les autorités, qui est visée ; • Les méthodes de massage, tui na (chinois) et shiatsu Masunuga (japonais) ; • Le reiki, technique de soins énergétiques d’origine japonaise par imposition des mains qui bénéficie actuellement d’une forte promotion en Occident ; • Le feng shui, art chinois millénaire dont le but est d'harmoniser l'énergie d'un lieu de manière à favoriser la santé, le bien-être et la prospérité de ses occupants. Toutes ces pratiques sont loin d’avoir fait la preuve de leur efficacité en dépit de l’extrême popularité de certaines d’entre elles. Si l’on se place sur le terrain de prédilection de ces médecines, la prophylaxie, le qi gong, présente un intérêt notable. Acupuncture et massages obtiennent quelques résultats ; mais est-ce bien selon le schéma théorique évoqué ? Les autres séduiront les amateurs d’occultisme, magie et autres miracles. La supériorité du qi gong est, à mon avis, liée à la participation active du patient. Cependant, il est difficile d’évaluer objectivement une pratique qui prétend agir sur le ki alors que l’on peine à donner une explication concrète à la notion de ki. Quoi qu’il en soit, ce mélange de croyance et de réalité est perturbant pour un occidental à l’esprit cartésien et laïque. Imaginez qu’on annonce aujourd’hui une application pratique de la sainte trinité chrétienne ! Au sein du budo japonais, la notion de ki est présente mais assez peu explicitée ; comme si elle allait de soi et ne mérite aucun commentaire particulier. Ainsi, la trouve-t-on dans le kime et le kiai, concepts peu documentés donc facilement déformés par les béotiens (le cri qui tue !) et appréhendés de manière superficielle par les adeptes. Seul le kendo a fait du ki un objet d’étude théorique mais peine à en proposer des applications pratiques. Même l’aïkido dont le nom inclut le mot ki ne va guère au-delà de l’énoncé du principe fondamental qui le gouverne.
Le wu-shu (arts martiaux) chinois est plus proche du qi, notamment avec le taiji quan (prononcer taï chi chuan). Cela s’explique facilement car le qi est un des grands principes du taoïsme, philosophie religieuse qui a imprégné la pensée chinoise depuis l’écriture par Lao-Tseu de l’ouvrage fondateur, le Tao Te King, vers l’an 600 avant notre ère. Cependant, le qi est un concept antérieur à l’émergence du taoïsme. Le ki est l’intégration du qi chinois dans la pensée japonaise construite sur le shintoïsme et le bouddhisme zen ― mais aujourd’hui la culture des jeunes japonais a tendance à s’éloigner des dogmes religieux. Si les mots désignent sensiblement le même « objet », l’écrin qui lui sert de présentoir diffère de façon notable.
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